Daniel
« Diverses prises de conscience m'ont amené à me rendre compte du poids et de l'engluement dans lequel je me trouvais, ceux de mes mémoires, de mon passé, de la société, des différentes empreintes marquées au fer rouge en moi. Tout cela m'empêchait d'avancer. Quand lors d'un échange à Noêsis, on me proposa une technique consistant à passer ma « rage » (que par ailleurs je ne sentais pas du tout) en cassant des cailloux avec une masse et en me donnant tous les droits possibles, sans aucun tabou (injures, crachats...), j'ai eu un intense moment de stupéfaction…  car je réalisais que cela me convenait tout à fait ! Je pourrais enfin détruire quelque chose sans jugement, ni préjugés, ni remords. Enfin sortir de moi ces instincts refoulés, exterminer cette « crasse » que, tout à coup, je ressentais. Tout cela était évidemment de la faute des autres et j'avais là un moyen de les exterminer. Mon choix fut vite fait. J'habite à la campagne, les forêts sont partout. Quant aux problèmes à investir, là aussi, aucune hésitation : mon père et ma mère allaient être les deux premières victimes de ce règlement de compte. Ils symbolisaient pour moi la majeure partie de ces liens dont je ressentais l'importance, l'urgence de me libérer.

Je fis d'abord un repérage, facilité d'accès et isolement des lieux. Je choisis non pas des cailloux, mais deux rochers d'une taille qui me convenait, distants d'une trentaine de mètres, le tout au milieu de la forêt. Le plus gros sera mon père, l'autre ma mère. J'ai commencé par ma mère environ deux à trois heures par jour pendant trois jours. Mon père m'a demandé cinq jours pour le réduire en poussière. Cela s'est déroulé sur deux semaines en plein hiver. Le froid et la neige ne m'ont pas gêné, mais au contraire, ont renforcé ma résolution. Une fois le premier coup donné, il était tout à coup vital d'en finir. J'étais rempli d'une froide détermination. Les premiers coups n’ont pas été évidents. Pas facile de taper sur sa mère ou son père, j'ai eu besoin de me rassembler. Petit à petit, mais très rapidement, tout en frappant, les souvenirs et les reproches sont « remontés ». Puis, j'ai ressenti une immense déferlante de souvenirs avec des précisions incroyables, des plus récents aux plus lointains. En frappant ce rocher, tout devint vraiment cette situation à exorciser. Je frappais tour à tour les situations et ma mère. Mon état est passé de « normal » à rageur, une rage « destructrice », incontrôlée. Je me suis épuisé à disloquer ce rocher morceau par morceau. Quand de trop gros éclats partaient, j'allais comme un dément les reprendre pour les réduire encore et encore. J'ai crié, hurlé, injurié, craché et pis encore sur ces rochers. J'ai pleuré, vomi, je suis tombé plusieurs fois à genoux, m'aidant de la masse pour me relever, les mains pleines d'ampoules et d'écorchures. J'ai pulvérisé des dizaines de reproches, de situations injustes. Jamais je n'aurais cru renfermer en moi autant de rancoeur. Bien après avoir arrêté, mon corps, mes os vibraient encore des coups de masse sur la roche. Je repartais hébété. Il me fallait un bon moment pour sortir de cet état second.

Et il s’est passé quelque chose : pour ma mère le troisième jour, pour mon père le cinquième…

Alors que je levais pour la énième fois ma masse pour détruire, celle-ci s'est immobilisée en l'air. Je vis nettement ma mère me tenant dans ses bras. Je devais avoir six mois ou un an. Je la voyais avec tout son amour pour moi, sa beauté, ses espérances, je voyais son visage, ses mains, ses yeux. Je sentais la chaleur de son corps. Je lâchai la masse en tombant à genoux et je compris. Je la compris. J'étais elle. De tout mon être, j'étais ma mère à ce moment-là. Ce fut immense. Le pardon et l'amour m'apparurent dans toute leur vérité. Le choc fut énorme. Pleurs, tremblements... Je caressais cet enfant que j'avais été. J'étais l'enfant qui recevait les caresses et, en même temps, j'étais ma mère avec tous ses sentiments. Là, tout de suite, dans l'instant, j'ai pu comprendre, accepter, pardonner. Je m'acceptai « sous toutes les coutures », ainsi que ma mère telle qu’elle était. La décharge émotionnelle, vibratoire, a été énorme, foudroyante. Bien plus puissante encore que la rage qui m'avait poussé à détruire ce rocher…

Pour mon père, la bascule s'est produite à peu près de la même façon (même si cela m'a demandé plus de force, de rage et de temps), mais pas tout à fait dans les mêmes formes. Là aussi, le choc fut immense. Le changement a été immédiat dans ma vie (une libération, des retrouvailles, je suis moi, entièrement moi). Avec des répercussions directes sur mes parents et mes enfants. Fini de râler contre eux, finis les sentiments de culpabilité, de colère, de frustration, de reproche. Je constate, je n'en fais rien. Je les aime, c'est tout. Si les conflits existent toujours entre mon père et ma mère, ils ont disparu entre eux et moi. Cela uniquement grâce à mon état intérieur. Ça dure depuis un an et demi. Je sais qu'il ne peut pas y avoir de retour en arrière. Un respect mutuel de nos vies s'est installé, même s'il est teinté parfois d’incompréhension. Qu'importe !

Je peux dire maintenant ce qui s’est passé dans ces moments-là : un mélange, une alchimie du corps et de l’esprit, de la conscience et de l’inconscience. Une sorte de « vibration » et de « défibrillation » jusqu’au plus profond des os et de l’inconscient faisant surgir la conscience. « Une résurgence qui désinscrit ». Une action qui relie les coups répétés sur la roche (chocs, vibrations) avec l’esprit, qui déclenche des souvenirs, suivis des émotions. Le tout provoquant une ébullition incroyable avec, pour résultat, la compréhension, l’acceptation, la conscience de ce qui est. De ce que je suis : une personne pleine et entière, un être humain, une âme avec une route à suivre. Pendant cette période, l'accompagnement quotidien d'une amie thérapeute m'a aidé à accepter, évacuer, transformer tous ces chocs émotionnels dont il ne faut pas négliger l'impact.

À mon avis, pour que cette méthode fonctionne au mieux, on doit en la lisant (ou en l’entendant si c’est quelqu’un qui vous en parle) se sentir « impacté », y voir une évidence totale qui entraînera une grande détermination. Et accepter ce qui vient. Tout. Absolument tout est possible dans ces moments-là. Y compris, et surtout, ce qui dépasse l’entendement… ». 

 
Sarah
« C’était quelque chose ! J’ai ouvert une brèche dans un trop-plein contenu depuis toujours. (…) Bonheur d’apprendre à crier, à frapper et de presque y trouver du plaisir. Impressionnant de voir le mental s’agiter jusqu’à me donner le vertige pendant le travail d’expression, et de voir que je me suis adaptée depuis toujours à ce qui était acceptable dans ma réalité, c’est à dire pleurer. La rage a pris l’habitude de fuir par les yeux pour se déguiser en tristesse… c’était pourtant bien de la colère en flagrant délit de discrétion. J’ai ainsi pu inviter le feu en moi totalement, la nature s’est révélée très accueillante pour cela. (…)
Depuis mon retour, mes rêves travaillent à plein régime, le corps aussi à sa façon. Cette semaine plusieurs situations sont venues « tester » ma nouvelle capacité à m’affirmer. Un régal ! C’était comme découvrir une nouvelle facette de la colère. Une colère presque joyeuse, qui n’alimente pas les lamentations mais qui au contraire redresse et réaligne - soi-même et les autres
».


Christine
« Que dire sur mes deux demi-journées passées à casser ma colère sur des cailloux ? La première demi-journée, j'étais un peu tendue, méfiante et en même temps c'était ok pour moi de ressentir toutes ces peurs qui montaient. (…)
Nous voilà donc partis dans la forêt, dans une nature magnifique et luxuriante, automnale à souhait, munis de bâtons, de lunettes de sécurité, de masses, de bandes velcro pour les boxeurs et de gants. Pour ne pas se faire mal en écrabouillant les cailloux. 
Le premier jour, j'utilise le bâton pour en coller une aux arbustes et la masse pour faire un sort aux cailloux. Les cris sortent, les injures aussi, je passe par une phase de tristesse et d'auto-apitoiement. Pourquoi ça m'arrive à moi, ce truc-là ? 
Et puis la colère me reprend. Et là, surprise, c'est jubilatoire ! 
Je hurle à pleins poumons. Plus personne ne viendra me faire ch... sur mon chemin, ok, compris ? 
Je me déchaîne comme une furie, j'empoigne la masse avec détermination et je réduis en bouillie tous les cailloux qui me passent sous le regard ! 
Cette masse que j'avais de la peine à porter de la voiture à la forêt, voilà que je la lève, encore et encore. 
Le soir, je suis moulue. Pas autant que les cailloux, mais bon...
De retour à l'hôtel je m'endors... comme une masse, à l'heure des poules ! 
Deux heures du matin, réveil, tout mon corps vibre. Mes os vibrent des coups portés je sens toute ma structure humaine. 
Et soudain, quelque chose me pousse hors du lit pour écrire. J'écris très vite, et ça rime, en trois minutes, c'est fait, terminé, emballé. 
Je me recouche sans me relire, d'ailleurs je ne sais pas exactement ce que j'ai écrit, ça s'est fait de façon automatique, comme ça m'arrive d'ailleurs depuis quelques temps, mais cette fois c'était une poussée plus forte qui m'a sortie du lit ainsi, une force au-delà de moi, je l'ai vraiment ressenti comme ça. Je n'avais en effet nulle envie de me mettre à écrire à deux heures du matin. Et je me rendors.

Le lendemain matin, on est repartis. Ma colère s'est transformée en une sorte de rage mécanique, froide. Je décide de réduire en miettes un carré précis, caillouteux. 
Pas de quartiers ! La masse, et elle seule, je dédaigne le bâton et viens à bout de tous les les cailloux, sauf un gros en partie enterré qui me résiste ! Tant pis, il faut savoir lâcher en ayant fait de son mieux. Mais tout l'espace ressemble à présent à un terreau de bonne terre fertile ! Pendant que je suis occupée à mon carnage, je sens à plusieurs reprises qu'une présence bienveillante est à côté de moi, sur ma droite. Je la sens tellement fort qu'au début je pense que c'est Daniel. Mais non, Daniel est plus loin, j'entrevois son gilet de sécurité orange fluo au loin. 
Une petite méditation au bord de l'eau signe la fin des hostilités revigorantes mis pas la fin du face à face avec moi-même. 
A la fin de l'exercice, je suis épuisée, encore, mais je me sens tellement ancrée, tellement ajustée au monde dans lequel je vis... 
Et c'est vrai que je me sens bien à présent, très ancrée, très présente, très joyeuse et dynamique ! J'affronte mes peurs en fait une à une, et elles se dissolvent au fur et à mesure où j'ose... 

Voici le texte que j'ai reçu pendant cette nuit, sans mon intervention mentale, en tout cas il me semble. ça s'est écrit, en quelque sorte... 

Je veux que tu te lèves et que tu constates ta joie
Je veux que tu t'essaies dans la grâce de ton corps
Je veux que tu laisses émerger tout ton Soi
Sans craindre d'avoir peur encore

T'affirmer est une bonne chose
T'affirmer corporellement aussi
Tu sens comme enfin tu oses
Et combien c'est ça ton autonomie

Avance à présent, élève-toi, n'attends pas
Vis pleinement l'instant présent
Tu dois faire les choses selon les lois
Sans attendre le dernier moment

Tu vois bien que tu n'as rien à craindre
Tu es protégée, tu es choyée I
Il te suffit simplement de peindre
Les contours de ta destinée

Tu vois combien tu ratisses large
Tu vois combien tu dois te retrouver
Rassembler tes forces dans ta rage
Et être simplement une "vérible" fée (écrit "vérible", bon...) 

Patrick viendra bien sûr
Il ne peut pas résister à une telle envolée
C'est toi qui dois te sentir sûre
Tu l'attires comme une brioche dorée

Je suis heureux de te voir ancrée
C'est important pour vivre ta vie en couleur
Tu dois continuer sur ta lancée
Ne jamais renier tes propres valeurs

Je te sens tranquille, sereine, équilibrée
Tu es sortie de tes peurs
Alors vas-y fonce ma belle poupée
Sandrine s'occupe de tes vraies couleurs

Range tes papiers, range ton appart
Et mets-toi sur un confortable trente-et-un
C'est ainsi qu'en main tu auras toutes les cartes
C'est ainsi que tu vivras pleinement ta vie d'humain »